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PARTIE 02


> Reproduction artisanale, reproduction légale ?

L’insémination artisanale, aussi bien nommée Procréation Amicalement Assistée (PAA) ou insémination sauvage, est une pratique illégale (art. 511-12 du Code pénal). Elle est passible de 30 000 € d’amende et de 2 ans de prison. C’est pourquoi notamment, sa communication se fait essentiellement par le bouche-à-oreille :

- Comment avez-vous connu l’Insémination Artisanale ?

- En parlant avec des amis qui ont une fille homosexuelle. Ils ont évoqué la pratique de l'insémination artisanale et une cousine de mon mari, qu'il a revu peu de temps après et qui avait eu vent de notre difficulté, lui a parlé de cela aussi.


Après en avoir entendu parler et éventuellement effectuer quelques recherches, la toute première étape pour une insémination artisanale est le don de gamète. Ou du moins sa recherche. Beaucoup de femmes et de couples, homosexuels ou hétérosexuels, font appel aujourd’hui aux réseaux sociaux pour trouver un donneur. C’est un moyen facile et discret de prendre contact avec des inconnus. Beaucoup de groupes dédiés et fermés sont présents, notamment sur Facebook, pour mettre en relation donneurs et receveuses. Ces groupes sont tenus par des receveuses en majorité mais les donneurs aussi fondent les leurs. Aussitôt signalés, les profils douteux sont évincés pour garantir la sécurité de tous·tes.

La PAA étant illégale, certaines stratégies sont mises en oeuvre par chacun pour garantir sa couverture. Les donneurs ont couramment un deuxième profil, sur lequel aucune information n’est inscrite et qui est entièrement consacré aux dons. Les photos de profil ne les représentent pas toujours et l’emploi de pseudonyme est tout aussi courant. Les seules présentations détaillées que les receveuses peuvent consulter sont celles publiées dans les groupes et envoyées spontanément en messages privés ou après une première prise de contact via ces mêmes publications. Ces formulaires de présentations sont d’ailleurs demandés dans chaque groupe par les administrateurs.trices à l’arrivée d’un·e nouveau·elle membres sous peine d’exclusion. Parfois iels demandent aussi de commenter un « lu et approuvé » sous une publication répertoriant les règles du groupe pour permettre de garantir la sécurité et la bienveillance au sein de la communauté.

Par ailleurs, en dehors de ses réseaux, il existe aussi certains sites de rencontres spécialisés dans la coparentalité. Coparentalys.com et Co-Parent.fr. En plus de mettre en relation donneurs et receveuses, ce sont de véritables banques d’informations sur la parentalité, la coparentalité, le don de sperme ou encore le fait de vouloir un enfant en étant seul·e.

> Confiance & Risques Sécuritaires/Sanitaires

Toutes les rencontres fonctionnent sur un mode de confiance. Donneurs et receveuses ne se connaissent pas. Chacun veut s’assurer que l’autre est une personne fiable pour éviter tout désagrément. Lisa me racontait : « J'ai contacté d'autres donneurs mais [...] je sentais qu'ils étaient là pour autres choses sans pour autant m'avoir fait de propositions malsaines.[...] Certaines receveuses ont eu des demandes de plan à 3 ou d'excitation visuelle. ». De ce fait s’est instaurée une grande complicité entre les receveuses. Elles s’échangent leurs savoirs pratiques mais aussi les bons contacts de donneurs et, s’assurent entre elles qu’un tel est fiable contrairement à un autre. Les donneurs sont eux aussi parfois plein de renseignements qu’ils divulguent généreusement aux receveuses qui prennent contact avec eux : « Les vrais donneurs (ndlr : les donneurs sérieux) sont riches en conseil, ils connaissent la chose encore plus que les receveuses, sur les lois, le matériel, le cycle féminin, les examens à passer, du pur altruisme, cela m'a impressionnée ! » - Lisa. De même pour certaines receveuses plus expérimentées : « On se parle entre receveuses en privé. [...] Il y a beaucoup de soutien entre nous, même avec des couples hétéros » - M., en couple homosexuel et enceinte de 6 mois au moment de l’entretien.


En revanche, sous la pression morale que peut exercer un donneur malintentionné qui voudrait imposer ses intérêts, une receveuse célibataire désespérée et sans soutien extérieur pourrait flancher, laissant place à une situation de harcèlement voire à un viol le jour venu du rendez-vous. Cette notion de confiance est d’autant plus importante que pour qu’il y ait transmission d’une infection, les muqueuses de chacun doivent être en contact. Or, lors d’un don, seules celles de la receveuse sont en contact avec le sperme du donneur qui, lui, n’entre pas en contact physique intime avec elle. « Dans le cas d’un rapport sexuel, le risque de transmission d’infections et de maladies sexuellement transmissibles est 100% partagé, dans celui d’une insémination artisanale, il ne concerne que les receveuses ». Avec l’insémination artisanale il est donc tout autant question de santé publique. Ces dons reposent uniquement sur la confiance, et les risques sanitaires liés à l’injection directe de sperme dans le vagin ne sont pas encore connus de toutes et tous : une enquête de Santé Publique France à révélé qu’en 2016 en France, 491 habitants sur 100 000 étaient diagnostiqués infectés à Chlamydia. Ce chiffre a triplé entre 2012 et 2016 selon les estimations de l’organisme. C’est une infection qui ne peut se transmettre que lors d’un rapport sexuel non protégé et qui touche majoritairement les femmes entre 18 et 24 ans. Ces chiffres montrent une hausse des rapports non protégés qui résultent d’une lacune dans l’éducation à la sexualité.

Ces risques, tant sécuritaires que sanitaires, participent à l’entretien de la vulnérabilité des receveuses. Elles sont exposées aux attaques morales, maladies (ici sexuellement transmissibles), agressions, blessures physiques et/ou psychologiques à l’occasion d’une rencontre avec un donneur.

En m’inscrivant sur des groupes de recherche pour prendre contact avec des usager.e.s, il m’est arrivé de recevoir une remarque à propos de mon profil, « Très classe et sensuel, pas forcément habituel », ou l’entrée en matière devenue mon titre de mémoire : « coucou ça va, tu voudrais faire un enfant ? ». Ces candidatures spontanées peuvent être intrusives pour les receveuses qui ne seraient pas préparées. Qu’est-ce qui pousse les donneurs à devenir demandeurs ? Un excès de générosité ? L’envie de démarcher pour gagner en visibilité ? Ou l’envie d’assouvir une demande personnelle hors de propos ? Le 5 février 2020, j’ai pu m’entretenir avec un donneur pour répondre à ces questions.

Jonathan fait des dons depuis 5 ans, au moment de l'entretien, et me précise dans la foulée que ceux-ci ont permis 11 grossesses à sa connaissance : « Mais j'ai fait beaucoup plus de dons qu'à 11 personnes, pour certaines, ça n'a pas marché et pour d'autres, elles ont caché leurs grossesses. » Mais pourquoi lui avoir caché ces grossesses ? Penchons-nous d’abord plus en détail sur ses motivations.

Il n’a jamais donné dans un CECOS parce qu’il aime le fait de ne pas être anonyme pour les receveuses et l’enfant espéré, et donc de pouvoir entretenir le contact avec les receveuses qu’il aide gracieusement. Cependant, outre l’altruisme de ses dons de sperme, il me confie aussi que pour lui c’est un moyen de construire un réseau social manière pérenne, mais que cela reste complexe « avec les jeunes (moins de 25 ans) ». En ce sens, c’est lui qui envoie le premier message « car je veux choisir les gens que j'aide » et par extension avec qui garder le contact. Pour lui, un enfant est un lien qui unit deux personnes « à vie », et c’est ce lien qu’il recherche dans ses relations : « Peut être parce que j'ai été déçu des relations que j'ai eues avec les femmes hétéros, je n'ai pas trouvé ce que je cherchais. Peut être aussi que je ne suis pas tombé sur les bonnes personnes. Quand une personne a un enfant grâce à toi, les gens vous sont redevables à vie (du moins certaines et c'est cette relation pour la vie qui m'intéresse. En fait, les dons m'ont plus apporté sur le plan affectif que les relations que j'ai eues avec des femmes hétéros ». Cependant, il me confiait aussi que certaines receveuses lui avaient caché leurs grossesses. Pourtant, au sujet de la coparentalité, il est très clair : « La coparentalité ne m'intéresse pas », « Je respecte la parole que j'ai donné : pas de coparentalité ». Il n’a aucune ambition à faire partie de la vie de l’enfance d’un point de vue éducatif et n’a nullement envie non plus de revendiquer sa filiation. Ce qui l'intéresse est davantage cet « aspect social » du don, comme il me le décrivait.

Ce point de vue a attisé ma curiosité. En l’interrogeant à ce sujet, il m’a déclaré être doté, selon lui, d’un patrimoine génétique « exceptionnel » qu’il souhaite transmettre aux générations futures. Il me confiait, dans la lignée de son raisonnement, être « déçu par l’espèce humaine » et qu’il espérait « transmettre mes gènes que j'estime (à tort ou à raison) être exceptionnel ».

L’assurance dont il fait preuve, et son besoin de créer du lien social, peuvent provoquer une peur chez les receveuses qu’il contacte. Moi-même après l'entretien je n’étais pas très rassurée, et en me projetant à la place d’une receveuse, j’ai compris que certaines n’aient pas voulu garder contact avec lui après le don. Le but premier d’un don de sperme est de donner du sperme, rien d’autre. Le lien social qu’il créait n’est pas un enjeu dans cette pratique. La première chose que veulent les receveuses est un accès à la procréation. Si effectivement, entre donneurs et receveuses, il y a un bon contact qui se créait, rien n'empêche les deux parties de se recontacter pour un nouveau don ou tout autre rencontre hors contexte d’une insémination. Parfois le donneur est aussi seulement présent pour donner son sperme : « le donneur nous prévient dès qu'il a fini, 5 minutes après, il arrive avec le don laissé au chaud sous son bras qu'il transmet à mon mari, nous échangeons quelques mots et chacun part de son côté rapidement » - Lisa. Le rôle du donneur n’implique pas la gestion du projet d’enfant, la revendication de sa filiation ou encore une amitié infaillible avec la·e·s futur·e·s parent·e·s.

> Matériel & rapport bio/techno

À l’origine, les moyens technologiques au service de la sexualité avaient pour vocation de contrôler les sexualités. Selon Paul B. Preciado, « Ces appareils opèrent comme une orthopédie politique, exosquelette disciplinaire. Ces dispositifs de production de la subjectivité sexuelle prennent la forme d’architecture extérieur au corps » comme, par exemple, le bracelet AVA. Effectivement, la réflexion de Preciado sur le contrôle des sexualités me paraît tout aussi appropriée et applicable au domaine de la reproduction. Nous avons l’impression de posséder et de s’être approprié ce contrôle sur notre sexualité et notre reproduction, alors qu’il nous est imposé par l’industrie pharmacopornographique, pour reprendre son terme. Ainsi, pour décrire un exosquelette, pour reprendre le mot du philosophe et écrivain, le bracelet AVA qui sert au suivi de l’ovulation du sujet qui le porte est un dispositif électronique relié à une application mobile de suivi du cycle et permet, en temps réel, d’informer l'usager·e des cinq jours les plus fertiles de son cycle. Ce gadget technologique connecté nous promet donc de détecter « vos cinq jours les plus fertiles en temps réel afin que vous puissiez planifier correctement vos rapports sexuels ». Comme le souligne Saul Pandelakis dans son article « 28 jours plus tard » qui vise à décortiquer les applications mobiles de gestion des menstruations : « Les dispositifs de contrôle des règles et / ou de la reproduction (la limite est parfois fine) doivent aussi être resitués dans leur dimension politique puisque la contraception à destination des femmes cisgenre vise notamment à les rendre disponibles sexuellement pour leurs partenaires — les hommes cisgenres, dans un contexte cishétéronormé. »

Pour en finir avec le bracelet AVA, certaines patientes en PMA ont questionné le dispositif, après expérimentation, notamment sur son prix en rapport à son efficacité lors d’un appel à témoignage sur le compte instagram @pmanecdotes : « A 300€ le bracelet, ça fait cher l’inutilité ».

De plus, dans un contexte artisanal à l’écart du milieu médical et des spécialistes qui y officient, les receveuses doivent compter sur une bonne connaissance de leurs périodes fertiles pour réussir à procréer en un minimum d’essais et ainsi augmenter leurs chances de fécondation. 


Partant de ces constats, j’ai demandé aux receveuses si elles avaient des techniques pour optimiser leurs chances de fécondation. Et effectivement, elles surveillent, pour la plupart sinon toutes, leurs cycles. Non pas avec le bracelet AVA mentionné plus haut, mais avec des applications mobiles gratuites de suivi, comme « mon calendrier » ou « clue » pour Lisa, disponibles sur Android, et/ou des tests de fertilité comme le plus couramment conseillé entre elles le « Test d’Ovulation Digital Avancé » de Clearblue®. Ce test détecte deux hormones : l'hormone lutéinisante (LH) et l'oestrogène. La détection de ces deux-ci permet une fenêtre plus grande quant au diagnostic d’une période d’ovulation, l’entreprise promet ainsi un pronostic de 4 jours fertiles.


Quand le contact est pris avec le donneur et, que le jour du rendez-vous a été fixé à la bonne date, il faut encore un peu de matériel : un pot stérile (bien que certains donneurs recueillent leur sperme directement dans la seringue pour diminuer les manipulations), dans lequel recueillir le sperme du donneur et, une seringue pour l’injection dans le vagin de la receveuse au plus près du col de l’utérus. 63,6% des receveuses interrogées lors d’un sondage en ligne que j’ai publié au cours du mois de février 2020 (33 réponses recueillies) utilisent la seringue du Doliprane® et de l’Advil®, tous deux liquides dans leur version pour enfants. L’argument majoritaire étant sa praticité : elle n’est pas trop invasive et est facile d’achat, par son prix (moins de 4€) et son libre accès en pharmacie.

> Étude de cas de la seringue du doliprane

C’en est fini de la poire à jus. Elle devenue le symbole visuel de l’insémination artisanale, nous pouvons la voir dans des séries audiovisuelles comme dans la dernière saison de « Grace & Frankie » (2015). La poire à jus a une capacité de 30ml en moyenne mais elle laisse aussi entrer l’air dans son réceptacle contrairement à la seringue avec laquelle il est possible de l’évacuer avec précision et sans perte de substance. Or, le risque d'injecter de l’air dans le vagin peut mener à un pneumopéritoine, i.e. une présence anormale d’air dans l'abdomen dont il est nécessaire de procéder à une opération chirurgicale pour l’évacuer. Il est donc possible de mettre en danger la receveuse en utilisant cet ustensile de cuisine. 

Ces seringues de médicaments sont aussi préférées aux seringues de 50 ou 60ml en usage dans les hôpitaux. Ces dernières requièrent une préparation avant l’emploi. Après avoir le sperme à l’intérieur, il faut découper l’embout pour éviter les lésions lors de la pénétration. Mais une receveuse interrogée lors de mon sondage soulignait la qualité sanitaire de cette manipulation : « Nous avions utilisé les seringues de 60ml mais nous devons casser le bout pour éviter les lésions, et nous trouvions cela pas très propre…». Effectivement cette opération peut comporter des risques comme me le soulignait Julie Degardin, infirmière à Toulouse : « Le vagin n'est pas un endroit dit stérile, il est doté d'une flore bactérienne qui permet l'équilibre de la flore vaginale. Si le matériel est souillé, c'est à dire non décontaminé et non stérile, le risque est de contracter des infections par la suite », les bactéries extérieures que l’on peut déposer sur la seringue en en sectionnant une partie peuvent donc causer des infections vaginales.

Par ailleurs, ces dispositifs et leurs usages sont jugés “pas glamour”, “étrange” voire “horrible” par les usager·e·s en raison de leur esthétique et des matières froid·es et médical·es, peu confortable : bords non lisses, plastique polypropylène transparent. J’ai régulièrement retrouvé ces adjectifs dans différents témoignages. Ces objets évoquent un milieu médical où la notion d’intimité est différentes de celle quotidiennement exercée chez soi, dans la mesure où un professionnel de la santé vient la bousculer pour nous ausculter avec différents outils, par exemple. Est alors mis en scène un rapport différent au corps, moins individuel et dans le but d’une examination et d’une observation accrue d’éventuels symptômes. Ces objets, leurs usages et leurs composants rappellent cette ambiance particulière des cabinets de médecine, entre autres lieux médicalisés.

Cependant, d’autres objets existent, sur le marché des sextechs notamment. Voici donc une étude de cas qui compare deux dispositifs créés dans l’optique d’optimiser une insémination artisanale par des créateurs ayant été eux-mêmes usagers de cette pratique.

> Étude de cas comparée de The Semenette & The Stork


Le premier argument de création de ces dispositifs a été d’optimiser le processus d’insémination, mais pas seulement. Stéphanie Berman a oeuvré dans le but de redonner un sentiment d’implication au partenaire non inséminé dans un couple.


Pour optimiser encore la fécondation lors de l’insémination, on peut faciliter l'ascension des spermatozoïdes vers l’ovule avec des lubrifiants spécifiques. On dit qu’ils sont « fertility-friendly », i.e. ils favorisent la mobilité des spermatozoïdes quand un lubrifiant classique a plutôt tendance à les freiner.

De plus, souvent il sera conseillé de lever les jambes afin de renverser le bassin pour favoriser le trajet des gamètes, c’est la position de la chandelle. Une receveuse anonyme m’a donné comme une recette quand je lui ai demandé sa.ses technique·s d’optimisation de la fécondation : « Injecter d'un coup et attendre dix minutes avant de retirer la pipette. Garder les jambes relevées pendant une heure et ne pas aller aux toilettes pendant deux heures ».

Certaines prennent en plus des « gélules de grossesse » comme Gestarelle G3 Grossesse par exemple. Il s’agit d'un complément alimentaire composé de vitamines et de minéraux participant au bon apport de ceux-ci au foetus. Mais ces comprimés peuvent être pris avant la grossesse pour pallier les éventuelles déficiences avant d’être enceinte « car vos besoins en vitamines et oligoéléments sont accrus ».

Maintenant il y a l’attente. Pour faire un test de grossesse il est recommandé d’attendre un minimum de 19 jours après « le rapport non protégé » s’il a eu lieu en période d’ovulation. Près de 3 semaines pendant lesquelles, une majorité des receveuses essayent une deuxième tentative.

> Faiseuse d’empowerment

Un parallèle avec la légalisation de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG ou avortement) me semble évident. Cette loi, portée par Simone Veil à l’Assemblée Nationale, a été adoptée en France le 17 janvier 1975. Au centre des enjeux était inscrit le droit en tant que femme à disposer librement de son corps. Mais avant l’adoption de cette loi, l’avortement était inscrit dans le Code pénal comme étant un crime depuis 1810 par Napoléon. Si nous voulions avorter, nous faisions appel à une « faiseuse d’ange ».

Ces dernières pratiquaient des avortements clandestins comprenant d’importants risques sanitaires, pouvant entraîner la mort de la patiente, en utilisant des cintres dépliés ou des aiguilles à tricoter. Cette méthode est dite de curetage, i.e. l’introduction d’instruments comportant un risque de perforation immédiate pouvant entraîner des septicémies. Elle était aussi utilisée dans les hôpitaux pour des patientes ayant eu recours à un avortement clandestin qui s’est mal déroulé avec des canules en métal.


> À lire : une bande dessinée de Florence Cestac et Tonino Banacquista, Des Salopes et des Anges, [2011], Dargaud.


 En 1972, la mortalité due à ces avortements clandestins diminue drastiquement. Cette évolution qui apparaît trois ans avant la légalisation de la pratique est due à l’apparition de la méthode Karman. Il s’agit de la méthode d’avortement par aspiration à l’aide d’une canule souple, méthode largement utilisée aujourd’hui en milieu hospitalier et moins traumatisant que le curetage, inventée par le psychologue américain Harvey Karman. Un groupe d’étudiant·e·s en médecine et membre de l’association Choisir, importe cette pratique d’Angleterre.

Dans une optique d’autonomisation, le docteur Karman, dans un article publié en 1972, marque sa volonté de dédramatiser l’avortement et son souhait que cette technique soit opérée par des soignantes du domaine paramédical ayant déjà avortées. Il travaillait d’ailleurs avec un groupe de féministes, rattachées au mouvement “self-help”, qui revendiquait alors une autonomie gynécologique des femmes. Chantal Birman, sage-femme et militante pour l’avortement dans ces années-là, déclare : « On utilisait une pompe à vélo montée à l'envers: au lieu d'insuffler de l'air, on aspirait et c'était relié à un manomètre de manière à évaluer précisément la puissance d'aspiration du vide dans le bocal ».


    Au même titre que l’insémination artisanale, ces avortements clandestins sont des pratiques illégales, à l’écart du milieu hospitalier, procédés avec des instruments du quotidien, mais avant tout empouvoirantes. Elle est inscrite dans un long processus de lutte pour l’autonomie gynécologique, dont les avortements clandestins des années 1970 sont un exemple.

Partie 02: À propos
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